Le jazz en tête de pont 

Par Maryvonne Colombani, publié le 1er février 2023 sur Zebuline

Trait d’union entre musiciens improvisateurs américains et français, le programme The Bridge présentait six artistes sur la scène du Moulin à Jazz

The Bridge © Charlie Jazz – Gérard Tissier

Une atmosphère espiègle et un tantinet potache régnait ce soir-là au Moulin à Jazz. Les musiciens en présence – Sakina Abdou (saxophones, flûte à bec), Julien Chamla (batterie, percussions), Coco Elysses (percussions, voix et diddley bow, cet instrument mythique des musiques populaires américaines constitué d’une corde tendue entre deux clous), Ugochi Nwaogwugwu (chant) et Julien Pontvianne (saxophone ténor, clarinette) – viennent des deux côtés de l’Atlantique. Les uns des États-Unis, les autres de France. Ils se sont rencontrés deux jours auparavant. Juste assez pour faire connaissance, créer des liens complices et des modes d’improvisations. 

Musique vagabonde
Fructueuse et profonde est leur rencontre, « la neuvième du deuxième cycle » sourit l’anthropologue Alexandre Pierrepont venu spécialement au Moulin à Jazz pour présenter aux côtés d’Aurélien Pitavy, directeur du lieu, The Bridge. Un programme d’échanges franco-américains, baptisé réseau transatlantique pour les musiciens de jazz créatifs qu’il dirige depuis 2012. Les musiciens s’installent enfin, prennent le temps de la concentration, attentifs à leur respiration. Le son étouffé des saxophones naît avec la voix de la chanteuse, d’abord murmure, sons légers qui trouvent peu à peu leur rythme. Et l’on est happé par les longues improvisations du premier set, deux monologues où affleurent des paroles, tandis que la percussion parfois réduite à un simple battement régulier et organique scande les volutes envoûtantes. Les cinq improvisateurs et improvisatrices explorent de nouveaux territoires, croisent les influences jusqu’à la transe. Au « deuxième set », après une courte pause, les musiciens sont rejoints par un invité-surprise, le compositeur, improvisateur et contrebassiste Bastien Boni, qui épouse l’atmosphère créée par l’ensemble, s’y fond avec brio. Délicieux ressassements où la pensée vagabonde, bulle onirique et prenante que l’on emporte précieusement avec soi.