ARNOLD DAVIDSON
Bienvenue à ce séminaire qui, je l’espère, est le début d’une collaboration de long-terme. Comme certains d’entre vous le savent, j’ai depuis longtemps un intérêt explicite et implicite pour l’improvisation, qui a pu s’épanouir grâce au Humanities Institute ici, lorsque George Lewis était professeur en visite au Center for Disciplinary Innovationi, et nous avons eu l’occasion d’enseigner ensemble un cours nommé « L’Improvisation comme mode de vie ». Ce cours a débouché sur d’autre choses : cinq ans de collaboration au cours desquelles George et moi avons partagé la tribune lors d’un séminaire – la première fois que je partageais la tribune – qui était suivi d’un concert puis d’un débat. Nous avons fait cela ici à Chicago, avec l’AACM et Alexander Von Schlippenbach, à Brown University avec Amina Myers, à l’université de Michigan avec Gerry Allen, à Wellesley College avec Vijay Iyer, et dernièrement à Paris, mais sans concert. A l’IRCAM, nous avons donné un séminaire, et comptons faire le concert dans deux ans. Et récemment, à Venise, avec le saxophoniste Steve Lehman. Par concert, je veux dire que nous ne jouons pas, moi je ne fais que parler. Ma jeune carrière de batteur s’est stoppée net quand j’ai pris la stupide décision de jouer au football américain et ait explosé ma main en tant de morceaux que ne pouvais plus jamais jouer de batterie. Les concerts incluent George au trombone et habituellement un pianiste, parfois un saxophoniste. Et l’ordinateur de George, bien qu’il soit injuste d’appeler ça un ordinateur, car ledit ordinateur, raccordé à un piano Yamaha, écoute et improvise en temps-réel et répond aux musiciens, et est complètement différent de tout autre programme informatique que j’ai pu écouter. EN effet, à L’IRCAM, ils ont un ordinateur très réputé, OMAX, qui, et c’était ma seule remarque impolie du séjour, prend le son des musiciens, transforme ce qu’il entend, et le joue. Le programme de George n’attend pas. Nous avons eu une petite discussion sur les différentes manières dont fonctionnent ces choses, comment elles encodent différentes esthétiques. Et dans un moment particulièrement échauffé, baissant ma garde, j’ai affirmé que la différence fondamentale entre OMAX et l’ordinateur de George est que l’ordinateur de l’IRCAM improvise comme un intellectuel français, tandis que l’ordinateur de George improvise comme un musicien du South Side de Chicago. Pour une raison qui m’échappe, dans ce contexte, ils n’ont pas très bien pris cette remarque. Par là, je voulais juste rappeler que nous avons ici le privilège d’être dans le South Side de Chicago qui, avec l’AACM notamment, a produit le groupe de musiciens le plus vibrant, important, et innovant qu’il soit depuis, disons, la deuxième guerre mondiale, tel qu’il a pu être détaillé par l’étude ethnomusicologique de George Lewis lui-même, A Power Stronger Than Itself, publié par les presses de l’Université de Chciago. D’ailleurs, nous avons le privilège d’avoir parmi nous des gens du Département de Musique qui sont intéressés par de multiples aspects de l’improvisation. Et l’idée est de démarrer cette discussion, qui j’espère se poursuivra. Je détourne votre attention vers Alexandre Pierrepont, qui a organisé tout cela, et a dépensé d’incroyables volumes d’énergie de toute sortes, notamment intellectuelle, afin de nous permettre non seulement d’entendre cette musique extraordinaire qui sera produite lorsque ces musiciens seront présents en ville, mais aussi de discuter de manière sérieuse et intellectuelle ce que nous avons à apprendre, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la musique, des pratiques d’improvisation. Alexandre a une formation d’anthropologue et est réputé pour ses publications et sa participation dans l’improvisation et l’étude, à grande échelle, des processus d’interaction et d’improvisation entre musiciens et, dans ce cas particulier, de musiciens qui viennent de cultures et de contextes très différents, et qui jouent ensemble pour la première fois. Ce qui soulèvera aussi des questions intéressantes sur les différences entre jouer pour la première fois avec des gens, par rapport à jouer 200 fois avec le même groupe de gens – des interrogations qui j’espère seront traitées. Alexandre, je te laisse présenter les musiciens et le projet The Bridge.
ALEXANDRE PIERREPONT
Merci à tous d’être présent, merci au Franklin Institute pour son accueil. Permettez moi de juste dire quelques mots car nous serons ici à Chicago pour deux semaines avec ces musiciens ; bien sûr, certains vivent déjà à Chicago. The Bridge n’est pas le nom du groupe mais celui du réseau d’échange qui rassemble des musiciens américains et français quatre fois par an, deux fois en France, et deux fois à Chicago. Peut-être devrais-je commencer par une petite histoire car les musiciens en racontent quand ils improvisent. Comme Arnold nous l’a rappelé, le South Side de Chicago a été un lieu très important pour la musique et il se trouve que j’ai d’abord rencontré Chicago via des enregistrements, puis en écrivant mon doctorat sur l’AACM. Le South Side de Chicago était mon premier terrain, comme on dit dans le jargon, et je souviens qu’une fois, et c’est avec cette anecdote que j’aimerai vous souhaiter la bienvenue, j’étais au New Apartment Lounge et ce jour-là, je traînais devant avant la jam session du mardi. Ce jour-là, je me souviens que Steve Coleman était en ville et, comme à chaque fois qu’il était de passage, il était venu voir Von Friedman et jouer au New Apartment Lounge. Il se trouvait que j’étais là, en train de faire mon terrain, à faire l’espion, l’espion de la musique. Steve Coleman avait cette énorme interview avec lui, nous l’avions réalisée ensemble pour mon doctorat et elle venait d’imprimer en France, donc il avait un exemplaire du magazine, avec lui en couverture, et cette interview étendue de six ou sept pages. Von Friedman y jeta un œil et lui dit : « Mec, comment peux-tu parler autant alors que tu es supposée jouer de la musique ? Tu n’as pas besoin de dévoiler tous nos secrets aux gens ». Steve Coleman lui répondit : « Nous devons aussi savoir quand montrer aux gens que nous savons ce que nous faisons. Les professeurs, les journalistes et les critiques ne sont pas supposés toujours s’exprimer en notre nom ». Alors, quand nous avons eu l’idée du Bridge, ce réseau collaboratif entre Français et Américains, nous voulions que dès le début…Toute l’idée du Bridge n’est pas simplement d’aider des Français et des Américains à travailler ensemble, mais de penser, avec eux, la place et la situation de la musique dans la société. C’est pourquoi nous nous débrouillons toujours – nous nous débrouillerons toujours – pour offrir différentes possibilités aux musiciens. D’abord de jouer, bien sûr, mais aussi d’interagir avec toutes sortes de gens, tels que des activistes citoyens, c’est ainsi qu’Aymeric et Benjamin ont passé tout le weekend, à Dorchester Projects at Grand Crossing / rebuild Foundation. Tout comme Douglas Ewart et Michael Zerang, qui étaient avec des musiciens français en octobre dernier en France et ont eux passé du temps dans des quartiers défavorisés, et pas seulement dans des salles de concerts, ils ont aussi participé à des rencontres dans des universités en France.
Je préfère commencer la discussion immédiatement avec les musiciens. Je peux les présenter au cas où vous ne les connaîtriez pas : Aymeric Avice, qui joue de la trompette et du bugle ; Benjamin Sanz, batteur et percussionniste ; Joshua Abrams, qui joue de la basse, du guembri et tout un tas d’instruments ; Jason Adasiewicz, vibraphone et batterie, parfois ; et Avreeayl Ra, batterie, percussion et flutes. Et ce sont seulement les instruments dont ils savent jouer, ils font beaucoup plus que cela. L’idée que nous avons eue avec Arnold, car nous voulons créer des archives vivantes de ce que nous faisons, et de toujours évoquer les mêmes sujets avec les musiciens, mais aussi se permettre des variations, des déformations et des transformations, de manière à avoir différentes réponses aux mêmes questions. Nous avons donc travaillé ensemble sur ces trois questions avec les lesquelles nous ouvrons toujours la discussion, et qui sont les mêmes que celles que nous avons posé à Joëlle Léandre, Jean-Luc Cappozzo, Bernard Santacruz, Douglas Ewart et Michael Zerang à Paris. Peut-être veux-tu commencer, Arnold ?
A. DAVIDSON
Puisque la première question est de toi, pourquoi ne commencerais-tu pas ?
A. PIERREPONT
Ma première question pour vous est : que signifie « créatif » dans musique créative ou musicien créatif ? Cette question portant tout autant sur la créativité dans la musique elle-même, que sur la compréhension, basée sur vos expériences comme improvisateurs et vos travaux sur des compositions ouvertes ou étendues, que vous avec développée de ce que signifie la créativité dans l’Art et la Vie ?
A. DAVIDSON
Nous décidé de poser des questions faciles (rires)
BENJAMIN SANZ
Pouvez-vous répéter la question ?
A. PIERREPONT
Que signifie musique créative ou musicien créatif ? Sachant que cette expression a été utilisée maintes fois, et notamment avec l’Association for the Advancement of Creative Musicians, mais pas seulement. J’ai par exemple lu une interview de Sonny Rollins dans les année 70, quand l’expression a commencé à faire florès, dans laquelle il a dit : « Je préfère utiliser cette expression que Jazz pour décrire ma musique ». Donc même les musiciens des générations précédentes ont fini par s’emparer de l’expression. Cette question porte autant sur la créativité dans la musique elle-même, que la compréhension que vous faites, basée sur votre expérience en tant qu’improvisateurs, de ce que signifie la créativité dans l’Art et la Vie. Nous ne voulons pas aboutir à une définition de ce qu’est la créativité, bien sûr, mais beaucoup de gens parlent de créativité, même les publicistes parlent de créativité. Alors qu’est-ce pour vous, musiciens ?
JOSHUA ABRAMS
Je crois, comme tu y as fait référence, et comme je suis sûr qu’Avreeayl le sait, le moment où ce terme est devenu une alternative pour décrire la musique de free jazz, de jazz… En termes historiques, c’est comme ça que je comprends le terme musique créative : parfois nous décrivons ce que nous faisait comme de la musique créative, c’est un terme précis mais aussi très ouvert, et il invite le public à l’approcher avec ouverture, et pas nécessairement avec une préconception qu’elle s’inspire idiomatiquement d’un type de musique ou un d’un autre. A un niveau plus personnel, je trouve que la musique est, disons, à son plus riche, quand il y a une forme de découverte, cette découverte pouvant être simplement une petite chose subtile, juste une manière subtile dont un rythme peut fonctionner au sein de l’organisme du groupe, ou la découverte par le groupe d’un tout nouvel espace dont les musiciens ont la patience de l’habiter, mais quand on découvre quelque chose – au moment où on la découvre, elle peut ne pas être aussi polie et raffinée que si on l’avait développée et travaillée – quand on découvre cette chose, elle possède une énergie supplémentaire, un souffle vital supplémentaire, que je crois en tant que musicien être palpable, et de même quand j’entends cela arriver, quand j’entends quelqu’un découvrir quelque chose sur scène, et cela pourrait une chose très spécifique, cela importe peu. On pourrait même jouer un morceau intégralement composée et y trouver malgré tout un nouvel aspect, ou un nouvelle manière de faire (mime) : « Oh, si je me déplace par là, le son ricoche de cette manière contre le mure, et ça marche mieux ». Je sors tous ces exemples car ce sont là différents aspects de la créativité : reconnaître la possibilité et la développer. C’est ce qui m’intéresse parmi ce qui est possible avec la musique créative.
A. DAVIDSON
Donc penses-tu que tu peux ne jamais te dire : « Oh, nous avons très bien joué, mais nous n’avons pas été très créatifs ».
J. ABRAMS
Oui. Ou alors je ne le mettrai pas dans ces termes, mais il y a des moments où, en effet, nous avons joué parfaitement tous els arrangements, ou alors nous avions une communication parfaite si c’était de l’improvisation totale, mais je n’ai pas été surpris. Parfois je pense qu’avec cette musique, on essaye de travailler pour améliorer notre pire représentation. Car le meilleur ne saurait que venir. C’est une chose personnelle quand on pense qu’elle arrive, que l’on ait un regard spirituel ou intellectuel sur la chose, cela peut toujours arrive, donc c’est peu : « OK. Que faire quand ça va mal, et comme améliorer ça et battre les cartes pour, disons, revenir dans l’espace de créativité, ou trouver quelque chose. » Il y a toujours quelque chose
JASON ADASIEWICZ
Salut, moi c’est Jason. Oh mince, pourquoi je dis ça ? (rires)
Ici, nous sommes tous impliqués dans la scène de Chicago, enfin sauf Aymeric et Benjamin qui sont à paris, bien sûr. Il y a tant dans cette musique qui déborde sur nos vies sociales et la manière dont on vit… Pour moi, ce sont les gens avec qui sort ma femme, ce sont les gens dont vous voulez qu’ils aillent chercher vos enfants à l’école. J’imagine que c’est ça que je trouve aussi fascinant. Ce n’est pas seulement jouer sur une scène, ce n’est pas seulement improviser spontanément, c’est comment tout cela se retrouve partout… c’est la vie que l’on se créé. Avec tout cela, il y aune confiance incroyable sur scène. Nous avions une discussion tout à l’heure car j’ai deux filles de bas âge qui rendent difficile mes déplacements en journée, je dois rester à la maison avec elles, et je ne peux donc me rendre à la balance du premier concert que nous devons jouer. J’ai déjà joué avec Avreeayl et Josh, mais jamais avec Benjamin et Aymeric, notre premier concert est jeudi, je ne peux pas me rendre à la balance, et Alexandre me dit : « Est-ce qu’on peut s’arranger pour essayer de nous rencontrer ? Pouvons nous venir chez toi, où tu pourrais jouer juste un peu avec Aymeric, ou avec Benjamin ? ». Mais plus on y pense, plus on se rend compte qu’on n’a pas besoin de ça. Je les ai vu hier à Constellation après un concert, on a traîné ensemble, on a discuté, on va jouer, et va traîner encore plus. Tout ça pour dire que si l’on revient au moment de la scène, la confiance est incroyable.
A. DAVIDSON
Vous avez tous deux parlé de confiance, ce qui est intéressant car je comprends comment vous trois (montre les Américains) pouvez vous faire confiance mutuellement, mais c’est intéressant de voir qu’avec des personnes avec lesquelles vous n’avez jamais joué, il peut exister une forme de confiance. Comment cela fonctionne t-il exactement ?
J. ADASIEWICZ
Pour moi, cela a commencé à travers Alexandre, que j’ai rencontré il y a quelques années, et qui est une personne dont on se dit « Ouah, il essaye de faire le même chose que nous essayons tous de faire. » Je ne peux connais pas encore Aymeric, j’ai rencontré Benjamin à travers Alexandre car ils vivent ensemble maintenant, donc la confiance passe directement à travers Alexandre, et ça va être fantastique, parce que nous entendons les choses de manière similaire, et ça va être fantastique.
A. DAVIDSON
Puis-je poser une autre question avant de retourner au fil de la discussion ? A propos de la créativité, (montre Joshua), tu as affirmé tout à l’heure qu’on peut trouver de la créativité dans un morceau écrit et pas seulement dans une improvisation libre. Une des grandes citations que je n’oublierai jamais vient de Russell Proco, clarinettiste de Duke Ellington, qui a dit avoir joué « Mood Indigo » plus de 8000 fois, et que son but était de jouer une note différemment à chaque fois. S’il avait pu jouer une note différemment, il avait alors fait quelque chose. Et cela peut être une forme de créativité. Il me semble qu’il y a au moins deux dimensions : la créativité qui vient en jouant avec autrui, mais il y a ensuite le problème de la tradition, et ce que l’on fait quand on joue d’un instrument qui fait partie d’une tradition qui vous précède. Je vais dire ça parce que tout le monde n’est pas nécessairement au courant : Jason réinvente ce qui peut être fait au vibraphone (« Merci, mec »). L’histoire du vibraphone est très courte par rapport à d’autres instruments, mais on peut tout de même lui tracer une histoire de Lionel Hampton à Mel Jackson, donc ma question est : ces gens-là ne vont pas disparaître, ils font partie de la tradition, donc que faites-vous à la face des contraintes de la tradition ? Que faites-vous pour créer quelque chose ? Cela me semble aussi être une composante très importante de l’AACM : dans la manière dont joue les générations de l’AACM, les fondateurs sont toujours dans l’arrière-plan, d’une manière ou d’une autre. Muhal Richard Abrams est toujours présent, Roscoe Mitchell, Lester Bowie, tout un groupe de gens… Mais il faut aussi créer. Quand vous faites face au type de créativité avec lequel vous interagissez au quotidien, je peux imaginer que ça doit être incroyablement anxiogène. Que dois-je faire ? Où vais-je d’ici ? Que vais-je faire qui va réellement créer quelque chose ? Et je pense que c’est particulièrement frappent dans le contexte de Chicago à cause du pouvoir de l’Histoire, et ce qui m’intéresse – ce n’est pas pour dire qu’il n’y a pas de contexte français dans cette Histoire, mais il est très très différent de ce qu’on l’on peut trouver à Chicago – c’est de savoir si, quand vous pensez à jouer avec d’autres gens, vous pensez à votre relation avec une tradition qui va autant mettre la pression sur vous que vous donner de l’espace pour jouer ? On peut écouter de deux manières : écouter les interactions entre les individus, puis écouter et penser « cet album duo avec Peter Brötzmann ne sonne pas comme Mel Jackson ou Oscar Peterson, entres autres choses comme lesquelles il ne sonne pas ». Quand vous montez sur scène, le poids de la tradition fait-il partie de ce qui est nécessaire à la créativité, ou seul suffit le moment de l’interaction ?
J. ADASIEWICZ
Il y a aussi une énorme partie de moi qui est intéressée avec la tradition non pas de l’instrument mais de l’harmonie. Tu fais référence à une de mes duos avec cet Allemand célèbre appelé Peter Brötzmann, je ne joue avec lui que depuis peu. En vérité, la tournée que nous avons faites ensemble était la première tournée que j’ai jouée de manière complètement improvisée. Pour revenir à ce dont je parlais, il y a une énorme partie de moi qui est, comme je disais, largement facinée par l’harmonie, l’harmonie fonctionnelle, la manipulation de l’harmonie, et l’écriture de chansons traditionnelles avec juste de magnifiques mélodies, des mélodies très simples. Ceci étant dit, je pense qu’il y a aussi le batteur en moi qui se demander comment compliquer les choses le plus possible, ce que je pense permet l’improvisation libre. Je ne pense pas que je réponds vraiment à ta question. Il y a tant de choses auxquelles penser dans le moment, qui est déjà une chose puissante en tant que telle : ce qui se passe avant de descendre de scène, comment agir avec les autres musiciens, quels seront nos dernières paroles, ce qu’on a mangé au dîner avant le concert… Le moment est très puissant.
AYMERIC AVICE
La tradition musical française s’est développée sur l’harmonie jusqu’à en oublier le rythme. La créativité, surtout pour la nouvelle génération, peut aussi venir dans la réinvention du rythme et de l’usage des rythmes. Les improvisateurs, je vois ça comme des récepteurs et émetteurs de l’énergie globale d’une pièce. On ne va pas improviser de la même façon si on est tout seul dans la nature avec des animaux, ou si on joue devant des petits enfants, tout change.
A. DAVIDSON
Je ne sais pas si vous avez déjà entendu David Rothenberg, le clarinettiste, aller dans des zoos ou des volières avant leur ouverture. Il apporte carrément ses clarinettes et improvise avec les animaux. C’est extraordinaires, car il ne sait pas ce que ceux-ci vont faire, et ce qui ressort de l’interaction est un résultat qu’on ne peut imaginer, parce qu’en mettant côte à côte les différentes volières qu’il a visité, peuplées de différentes sortes d’animaux, alors les résultats sont complètement différents. Il essaye aussi de faire ça avec des baleines, mais elles sont plus difficiles à contrôler que les oiseaux. Mais c’est extraordinaire de voir à quel point la nature peut jouer ce jeu.
B. SANZ
Que veut dire la créativité, ou être un musicien création ? Je pense que c’est être moi-même ; je ne peux parler que pour moi-même. C’est aussi jouer ce que je ne connais pas, et pour être arrivé à ce but en tant que Français et juste moi-même, je peux remercier mes mentors, parce que j’ai eu la chance de jouer avec des gens comme Sunny Murray, Archie Shepp, David Murray ou Oliver Lake. En tant que grands musiciens, ils m’ont enseigné que la créativité en moi peut être exprimée, car je n’en avais aucune idée de prime abord. Quand je suis arrivé à Paris pour mon premier concert, j’avais 17 ou 18 ans, et Sunny Murray était au premier rang et, après le premier set, m’a botté le cul – mes excuses, je ne connais pas l’expression correcte – « Benjamin, que fais-tu ? Tu dois être créatif ! Ceci n’est pas créatif ». Bien sûr, je n’avais aucune autre référence, donc j’étais un peu en train de copier quelqu’un que j’avais entendu, ou une sorte d’ambiance que j’avais entendue. Le second concert était deux semaines plus tard, je jouais au même endroit, il était là et il était très heures parce que j’avais su être très honnête. C’était ma première leçon de créativité. De plus, quand je joue avec ces gens, j’enregistre tout le temps ce que nous faisons. Et, plus tard, invariablement : « Ah, c’est moi ? Je ne me reconnais pas. » Je pense que la créativité a beaucoup à voir avec une chose que l’on connaît pas, qui vient après avoir appris ce dont vous parliez, la tradition. Et (montre Jason) je sui complètement d’accord avec toi quand tu parle des conditions sur scène, et ce dont parlait Aymeric, tout ce que nous devons intégrer et comprendre, et que si nous les ressentons, le résultat sera créatif. Si on ne fait pas attention, alors ce ne sera pas créatif. Cela est vrai à propos de la vie quotidienne, chaque moment, chaque chose. Pour respecter les raisons de ma venue, les gens qui m’ont tout appris, et moi même, je n’ai d’autre chois que d’être créatif. Pour moi, la créativité n’est pas seulement dans la musique, mais dans tout. Etre créatif ce n’est pas seulement connaître des choses, en faire quelque chose.
A. DAVIDSON
Peut-être puis-je tous vous demander : que se passe-t-il lorsqu’il y a une possibilité créative et qu’elle ne fonctionne pas, que les choses vont mal ? Que faites-vous alors ? Il me semble que c’est une situation où la créativité est très importante, la créativité face à une chose dysfonctionnelle. Il y a cette remarque philosophique profonde de Thelonious Monk qu’il sortait à quelqu’un qui jouait mal : « ce n’est pas que tu fais des erreurs, mais c’est que tu fais les mauvaises erreurs ». Cette idée que certaines erreurs peuvent être des erreurs justes, car on peut en faire quelque chose, est-ce que… Je veux dire, vous avez tous certainement été sur scène avec des choses qui ne marchaient pas, et qu’arrive-t-il à votre créativité dans ce contexte ? Que faites-vous ? Essayez vous de capter l’attention de la personne qui je ne joue pas très bien et essayez de re-penser la situation, ou les ignorez vous, et essayez de vous fondre dans la masse et la transformer. Il y a beaucoup de possibilités.
J. ADASIEWICZ
Il y a beaucoup de choses qu’on pourrait faire. Jouer ? S’écarter ? Reculer ? Je pense que chaque décision peut être juste comme erronée.
AVREEAYL RA
Le domaine de la créativité, de l’inspiration… est bloqué par la pensée. Il faut se brancher sur son intuition. Tout cela n’est pas tant à propos de jouer qu’à propos d’intuition, d’imagination, et de flux d’énergie. Donc les choses ne se passent probablement pas parce que vous pensez. Parce que vous essayez à tout pris de faire rentrer quelque chose, « oh ce truc sur lequel je travaille dur, je vais essayer de… » Pour moi, pour être vraiment créatif il faut oublier tout ce qui est venu avant et s’immerger dans l’instant présent, car c’est la musique de l’instant. Il y a une musique dans l’air, nos auras se combinent, les vibrations, les pensées, les énergies, les émotions… Il y a une musique dans l’air, il faut juste y être sensible pour la laisser se passer. On essaye juste de traduire l’émotion dans le son. La meilleure musique que j’ai faite est venue quand je ne pensais pas. De fait, je me souviens que, tôt dans ma carrière, j’arrivais à des moments magiques, et dès que je me demandais « Qu’est-ce que je suis en train de faire ? », la magie cessait. Elle cessait. Donc il a fallu que j’apprenne peu à peu comment m’abandonner. Lâcher tout ce qui vient auparavant, ce que l’on sait être. Car c’est un moment d’apprentissage, notre musique nous enseigne. Si l’on se connecte véritablement à notre essence, ces éléments de nous qui sont au-delà de la magie, au delà de toute définition… Cela me donne l’opportunité d’accéder à tout cela, et de l’actualiser. Le plus grand obstacle à tout ça est la pensée. Il faut juste laisser notre sagesse intérieure nous porter. C’est comme rencontrer des gens pour la première fois, quand on les rencontre, on n’a pas besoin d’avoir un script pour mener une conversation. Comment nous sentirions-nous de nous réveiller tous les matins avec l’intégralité de notre journée intégralement planifiée ? Finalement, c’est un peu tout cela que nous essayons de faire, et pour moi cela passe par l’abandon de la pensée. On a une intention qui doit participer à une issue, and cette intention attirera tout ce qui est nécessaire à sa propre réalisation. Donc si on a une intention donnée, et qu’elle est sincère, alors elle viendra de la manière dont on la concevait, si on ne se met pas en travers du processus avec des connaissances antérieures, ou ce genre de choses. C’est drôle, quand vous demandez ce qui se passe bien ou mal dans la musique, il y a de nombreuses fois où je me suis dit « Mince, les choses ne se sont pas bien passées ». Le lendemain, quand j’écoute les enregistrements : « Ouah, c’est magnifique ! » On est tellement pris dans le moment, personnellement, que l’on peut avoir des idées préconçues de ce que l’on souhait qu’il se déroule, mais rien ne se déroule comme ça. Mais il peut se passer quelque chose d’autre de magnifique.
J. ADASIEWCZ
La frustration sur scène est quelque chose, je trouve, plutôt déprimant. Je n’aime pas me mettre dans cet état d’esprit, je suis complètement d’accord avec toi.
A. PIERREPONT
Souvent, quand on discute d’improvisation avec des musiciens, on essaye de passer par des références à d’autres personnes qui s’occupent d’autres problèmes ou d’autres sujets. Il y a un nouveau livre paru en Suisse dont l’auteur est le plus grand spécialise européen du Taoïsme, François Bilter, et le seul exemple qu’il a réussi à trouver dans un de ses chapitres pour parler de l’abandon dans le Taoïsme est celui de improvisateurs. C’était pour un donner un exemple pris d’une autre perspective pour tenter d’en donner la logique.
A. RA
C’est d’ailleurs ce qui est important avec l’improvisation, le jeu intuitif se situe au-delà de la logique.
B. SANZ
Cela ne revient pas à vouloir ou faire…
A. RA
Enfin, vouloir… on veut. Je veux un certain résultat, je veux ressentir d’une certaine manière. Il y a une certaine manière dont je sais que je suis en train de m’actualiser, je veux aller au-delà de moi-même. C’est la clé, aller au delà de soi. Comme je l’ai dit, à ce moment là, je ne m’arrête plus, je n’y pense plus, je suis, j’apprends. Je documente beaucoup ce que je fais, et c’est comme ça que j’apprends de moi-même. Ecouter, être sensible, c’est simplement comme nous en train d’avoir une conversation en ce moment-même. JE sais quand écouter, je sais quand quelqu’un dit quelque chose d’important. Je sais quand apporter mon soutien à ce que tu es en train de dire. C’est simple, vraiment, si on ne laisse pas tout se compliquer dans la tête.
A. DAVIDSON
Avant de passer à la question suivante, est-ce que quelqu’un a une question pour les musiciens sur la créativité ?
MEMBRE PUBLIC 1
Si se laisser aller, poser une intention et aller au-delà de la logique et de la rationalité est une part essentielle de la créativité, alors quel rôle joue l’instrument ? Parce qu’il faut avoir une certaine technique, une certaine histoire avant d’être sur l’instrument…
A. RA
D’abord, il y a tellement de degré et de niveaux dans la créativités, c’est comme demander « Quelle est la longueur de ce bout de ficelle ? ». A un certain niveau, c’est juste être un artiste. Point. Ou être un musicien qui joue de la musique, ça c’est créatif. On ne peut échapper à la créativité si on joue de la musique, d’une certaine manière. De l’autre côté du spectre, il y a la lecture constate de partition. Quand bien même, beaucoup de gens très créatifs font ça, ils n’ont pas été exposés à tous les types de jeu, alors ils doivent trouver différentes manières de jouer tel morceau chaque soir. Vous savez, une des bonnes choses avec Sun Ra est qu’il avait un répertoire… On pouvait être sur la route pendant trois moi et jouer la même chanson tous les soirs, mais ce n’était jamais vraiment la même. On ne la jouait jamais de la même manière. On trouvait toujours une manière de la rendre intéressante, de ne jamais s’ennuyer. On garde les choses intéressantes. C’est un sens…
A. DAVIDSON
Mais un sens que l’on peut affûter. Ou pas ?
A. RA
En le faisant. Je ne pense pas qu’on peut l’entraîner, on le devient en le faisant. Plus on créé, plus notre esprit devient créative.
J. ADASIEWICZ
Pour répondre à ta question sur l’instrument, pour moi, l’instrument est quelque chose avec lequel je sais que je peux capter l’attention d’autre, ce que je ne peux faire avec mes mots, mes dessins, mes peintures, je sais pas, ma science… L’instrument est là vois dont je sais que je peux… Je suis sur scène, je vais faire ce que je fais. Je vais vous dire quelque chose. Après ça, on va traîner, ça ne s’arrête pas au concert. Mais l’instrument est ce avec quoi je me sens à l’aise.
A. RA
Peux-tu répéter la question à propos de l’instrument ?
MEMBRE PUBLIC 1
Je me demandais si la créativité est en effet une éthique que l’on peut appliquer à n’importe qu’elle expérience dans la vie, alors comment s’exprime t-elle avec un instrument et une technique en particulier ?
A. RA
Je pense que cela se situe au delà de l’instrument. Je sais que cela se situe au delà de l’instrument. Les instruments sont fabriqués d’une certaine manière pour produire certains sons. Les instruments ont des limitations, mais pas l’esprit créatif. Donc l’instrument peut devenir un reflet de l’esprit créatif, si on pense créativement, les possibilités sont infinies.
J. ABRAMS
Et l’instrument, comme son nom l’indique, est un outil. Nous avons donc passé beaucoup de temps avec, et cela nous aide à être à l’aise pour parler à travers l’instrument. Et on n’y a passé tant de temps que cela nous donne une sorte de point focal pour notre concentration. La créativité n’est pas limitée à… Avreeayl montrait ça du doigt : tous les jours, tout le monde est créatif. Mais nous parlons peut-être d’une certaine pratique de la créativité…
B. SANZ
Oui, je pense qu’il y a la technique de l’instrument, de la musique. Si l’on maîtrise notre instrument, on maîtrise ensuite la musique puis, comme disait Charlie Parker, « oublie tout ça et joue ». Donc nous sommes les instruments… Quand je regarde un musicien ou quelqu’un qui s’apprête à jouer, même si je ne connais pas, je peux deviner s’il va bien jouer. Quand je vois Joshua jouer de la basse, il est totalement relâché, ses épaules sont souples, et on peut voir son aisance. Donc il peut laisser sa créativité s’écouler. Comme tout musicien, quand on regarde à la manière dont ils marchent, dont ils se tiennent debout, dont ils jouent de leur instrument, on peut apprendre beaucoup en observant les gens.
A. RA
J’ai entendu une très belle histoire sur Jimi Hendrix. Il ne savait pas qu’il ne jouait pas de sa guitare correctement. Il a pris la guitare, il était gaucher, elle était faite pour un droitier, mais il est devenu un innovateur. C’est totalement au delà de… Vous savez, s’il était allé à l’école, il n’y aurait pas d’histoire à raconter. Certaines choses viennent seulement de l’intuition. Quand le big band d’Ellington est allé en Europe, les gens pensaient qu’ils avaient des cuivres truqués. Les gens entendaient ces sons et leur disaient « jouer ça encore, mais avec cet instrument… Ad, d’accord… Il se passe quelque chose que je ne comprends pas ».
A. ABRAMS
Vous parliez plus tôt du poids de la tradition dans le jeu, et peut-être aussi que… Ce n’est pas un outil, mais plutôt un gigantesque puits de connaissance qui contribue à nous faire parvenir à nos objectifs. Il y a tant de préparation pour arriver au point où on peut s’oublier, tout oublier, et juste jouer. Cela aide d’avoir passé du temps à s’entraîner pour avoir quelque chose à dire. C’est ça la tradition. Mais si au moment où on arrive sur scène, on se met à penser à la tradition, alors cela peut être très intimidant.
A. DAVIDSON
On dirait qu’il y a une relation compliquée entre le fait que nous sommes tous appelés à improviser dans différentes circonstances sans en avoir vraiment le choix – ceci est une conversation improvisée, mais il y a tant d’autres niveaux – mais aussi que, tant dans la conversation que dans la musique, certaines personnes sont très fortes, d’autres moins. Et quand l’intuition se déclenche, elle se déclenche sur la base d’un énorme travail qui vous a fait devenir qui vous êtes. Ensuite, en devenant qui on est, on peut l’exprimer, mais cela ne vient pas de rien, cela vient d’un processus de plusieurs années. Je me souviens d’une histoire – ensuite nous pourrons passer au sujet de la liberté – une histoire que racontait Steve Lacy, à propose de la première fois qu’il a rencontré Don Cherry. Don Cherry venait chez lui et lui disait « jouons ! ». Ce à quoi Lacy répondait : « Qu’est-ce que tu veux jouer ? – Non je te dis, jouons, et c’est tout ! ». Steve Lacy dit que cela lui a pris cinq ans à apprendre à juste jouer. Cela peut être une situation très anxiogène, de juste jouer. Cela ne vient pas facilement, ça vient sur la base de la pratique, de la tradition, de la familiarité avec l’instrument, des expériences passées… Jusqu’à arriver au point où il y a quelque chose à exprimer. Et il faut s’appuyer là dessus pour être sûr que ce qu’on exprime est qui on est. J’ai vu différentes personnes essayer des choses avec des enfant, comme Max Roach, qui allait dans des écoles primaires et apportait sa batterie, et faisait jouer les enfants. Certains sonnaient bien, d’autres sonnaient moins bien, personne ne sonnait comme Max Roach. Il y a une relation très compliquée entre le travail et l’intuition, la tradition, là d’où l’on vient, le qu’est-ce qu’on fait, pour se créer un soi. Et si on regarde quelque chose comme l’AACM, on peut voir tout ce qui va dans un tel travail, laisser chaque individu se créer lui-même, dans un contexte qui relève à la fois du soutien mutuel dans la confiance et exige que l’on fasse quelque chose de soi-même. On ne peut pas juste copier quelqu’un ou imiter quelqu’un. La dernière anecdote qui me vient à l’esprit m’a été contée par Derek Bailey. Quelqu’un qui était un grand fan de Lester Young avait économisé tout son argent pour l’écouter jouer, et il pouvait imiter Lester Young au saxophone, et avait passé des années et des années à pratiquer à jouer comme Lester Young, et a finalement économisé assez d’argent pour aller l’écouter en concert. Et c’était un moment où Lester Young ne jouait plus le type de musique auquel ce type s’attendait. Celui-ci était furieux, complètement en colère, s’est levé et a crié : « tu n’es pas toi, je suis toi ! », parce qu’il pouvait jouer tous les solos, mais ceci n’est pas qui est Lester Young. C’était un moment de créativité, dans lequel on invente quelque chose qu’on n’aurait pu prédire.
A. PIERREPONT
Il y a une citation de Jayne Cortez, feu Jayne Cortez, dans cette chanson où elle dit : « trouve ta propre voix et utilise là, mais ensuite, utilise ta propre voix et trouve là. » Ce qu’elle veut dire par là est que c’est un processus interminable. Une modification du maintenant à multiples issues. On pourrait modifier la citation de Steve Lacy, « juste jouer », en « juste avoir la liberté de jouer ce qui est requis par la situation. C’est là que tradition et expression ne sont plus des opposés. Si c’est requis par la situation, alors on peut l’utiliser d’une manière différente d’hier soir, parce qu’hier soir ce n’était pas requis.
A. DAVIDSON
Une des choses dont je veux parler, étant donné les musiciens ici présents et qui font partie de The Bridge, est qu’est-ce qui se fait appeler « improvisation libre », et qu’est-ce que cela veut dire ? L’improvisation en général est souvent pensée comme un espace de liberté, et on se retrouve avec des catégories telles que « free jazz » ou « improvisation libre », etc. Mais on sait tous que la liberté n’est jamais absolue, jamais entière. Ce n’est pas de la liberté ex nihilo, elle ne vient pas de rien, il y a toujours des lignes de forces et des contraintes. La question est : comment concevez-vous vos pratiques de liberté dans le contexte de l’improvisation ? Plus spécifiquement, comment pensez-vous la relation entre liberté individuelle, qui est liée à la créativité, et la responsabilité vis-à-vis du groupe ? Car quand on joue dans un contexte de groupe, on veut la liberté et un certain type de créativité, mais on a aussi une responsabilité, on doit être responsable. C’est presque une obligation morale en termes d’écoute et de réponse aux autres. Comment équilibrer le désir, l’intention de liberté avec la nécessité d’être responsable dans ce contexte particulier ? Comment interagissent liberté et responsabilité ? Comment pensez vous les moments dans lesquels la liberté revient à abandonner la responsabilité, alors qu’il ne faudrait pas être libre dans ces moments, mais responsable ?
B. SANZ
Je peux répondre à cette question. J’ai une responsabilité moi aussi, si je joue un groove, si je suis une ligne de chorus… Je peux contribuer à la liberté du soliste. Si ce n’est pas déterminé, si la section rythmique n’est pas calée, alors que peut faire le soliste ? Ou je me sens responsable, et si le soliste doit jouer… (s’adresse à Arnold) Est-ce que tu parles de musique libre, d’improvisation libre, ou de juste jouer ?
A. DAVIDSON
Et bien c’était un exemple particulièrement difficile, parce que dans ce cas là tu n’es probablement pas en train de tenir le rythme…
B. SANZ
Je peux jouer de l’improvisation libre et jouer des beats, ou garder le rythme. Il n’y pas nécessairement besoin d’y avoir une ligne de chorus définie, ou un mélodie, ou un rythme, différent mais je peux jouer quelque chose et le changer. Cela peut être surprenant ; on peut se permettre de se surprendre l’un l’autre. Cela devient donc très amusant, et ne nous fait pas nécessairement ranger la responsabilité de contribuer à des interactions entre nous.
J. ABRAMS
C’est difficile de savoir comment… Tout le monde écoute différemment, surtout quand on joue avec des gens que l’on vient juste de rencontrer ou que l’on ne connaît guère. Parfois, on joue quelque chose, et c’est un peu comme une offre. Nous n’avons rien, peut-être pouvons nous explorer ceci, ou alors comment répondrais-tu à cela ? Puis on commence à apprendre comment chaque personne fonctionne. Et je ne sais pas si ça compte comme de la responsabilité ou non, mais cela fait aussi aprtie de la manière dont on apprend, comment on est compris, comment on se comprend soi-même. Mais être capable d’y arriver sans arriver à un moment intense de reflexion…
A. DAVIDSON
Je pense que ça pourrait se dérouler des deux manières. Soit on se dit : « je peux prendre plus de risques avec des gens que je connais bien, parce que nous avons bâti une relation de confiance, soit je peux prendre plus de risques avec des gens que je ne caonnais pas du tout, parce que je ne sais pas du tout à quoi m’attendre ». ça débouche sur différentes expériences sur comment concevoir ce que l’on est libre de faire.