Coup double sur le Bridge #2.5

Zutique Productions, Un Singe en Hiver, Dijon, jeudi 2 juillet 2020

Le jeudi, c’est low-f(r)i. Au Singe en Hiver, on fait revivre les ambiances à la AMM, faites de bric, de broc bruitistes et de transistors qui déraillent. À gauche, attablé, Sam Pluta à l’électronique inonde les tympans de ses gadgets à ondes. À droite, Pascal Niggenkemper, imperturbable, noie l’auditeur de ses lignes de basses, pléthoriques et déstructurées. Au centre, Ben Lamar Gay s’immisce et tranche la toile sonore mécanique de ses coups de trompette, tantôt wah-wahïfiés, tantôt tambourinés.
En deux pièces, le groupe dresse un paysage sonore industriel, largement architecturé par Sam Pluta. La seule présence humaine, c’est la voix de Ben Lamar sur la fin de la seconde pièce, façon disque rayé et en call and response avec l’homme au joystick. Impression toujours d’une grosse vague devant nous, sans jamais que celle-ci ne vous submerge. Rien n’explose jamais, tout s’affaisse lentement et le fracas s’interrompt de lui-même.


Lucas Le Texier

Never enough of monkey business. Désolé Chuck Berry, on aura jamais trop de ce genre de concert dans ce genre d’endroit. Ce dernier c’est une brasserie, avec un plan en mezzanine deluxe. Propice aux expériences classes, intimes et manifestes. Du genre à faire débarquer un transatlantique entre 4 murs. E la nave va. Transtlantique, The Bridge l’est foncièrement. C’est même le principe du dispositif imaginé par Alexandre Pierrepont pour relier les scène jazz-impro de Chicago à celle de l’hexagone. Deux ricains et deux franchise pour débattre, s’ébattre et rebattre les cartes du geste d’improvisateurs. Et d’inventer de petites utopies, de petites républiques musicales. Une et indivisible. E la version #2.5 va. Sam Pluta et Ben Lamar Gay, côté US, Pascal Niggenkemper et Sophie Agnel, sur la french side. Pas de piano augmenté pour cette date dijonnaise, cette mouture jouera en trio. Un trio où les corps s’augmentent comme s’augmentent les corps dans un sprint en descente du Tour de France. Avec la joie et l’envie du hors-cadre, de flirter avec les limites. Bols résonateurs pour Pascal Niggenkemper, écrans tendus pour Ben Lamar Gay.
Ce qui est magnifique dans ce #2.5, c’est l’humanité qui fore dans la matière, dans l’obsession aussi. À vue de nez et à mains nues. Groove sur drone, minimal protest. Chamaneries à peine fractionnées. À écouter les yeux fermés. 
Ici, chacun accepte de remettre le son qu’il produit dans les mains d’un autre, ici l’humanité farfouille. En deçà de soi, des préconçus et des habitudes. Magnifique comme tout est remis en jeu. Ou plutôt en cause. En toute conscience, en parfaite connaissance de sa propre fragilité. Et dans ce débat de trilles piloté par Sam Pluta, naissent de petites alertes, des phases impavides, des semblants de surplace, des promontoires d’humanité plus vieille de caractère encore qu’un Cavendish de retour sur les sprints. C’est ainsi que les hommes vivent dans ce trio, par l’obstination. À l’image des descentes et montées de manches de Pascal Niggenkemper à peine contredites, ou justement parfaitement contredites par la voix ‘pop’ de Ban Lamar Gay. Pas très très loin parfois des shots de Loussier sur Pulsion. Posé sur les bases du Free forgé par les premiers militants de l’AACM. Sam Pluta est plutonien. Les deux autres sont en Mercure. Chauds. Les deux autres à la touche pyromane. Ensemble, ça sonne l’alarme. L’urgence à reprendre. Là où les choses avaient été laissées. Sans doute avant l’oblitération de toute culture live des derniers 15 mois. Assez longs pour avoir envie, avec une classe certaine, de faire le singe.


Guillaume Malvoisin
photos © Boris Masson

Pour son premier Hors-Série, INBAR, radio nomade, décide de poser son studio au beau milieu de la fabrique de bière Un Singe En Hiver. Occaz pour voir mousser les pistes de la Coopération Artistique et Culturelle, échelle locale et worldwide style, pour ce jeudi 2 juillet où le free jazz et les actions de coop sont réunies. C’est à écouter ici.