CHICAGO [DISTRICT], #1

Publié sur pointbreak.fr

Artifacts, vendredi 27 janvier
& The Bridge 2.9, samedi 28 janvier
Dijon, Grand Théâtre, Zutique productions x Opéra de Dijon.

Artifacts

Raccord. On est raccord. Pour la promo du même set chez les cousins de Poitiers, on écrivait : « Avec Artifacts, on est à Chicago, l’esthétique parle pour elle-même. Afrofutrisme, lignes mélodiques redoutable, techniques instrumentales connues sur le bout des ongles, interplay royalement coopératif. » Pour ce Chicago [District] dijonnais, on appuie et varie le propos sans problème. Artifacts, sous ses allures d’art du pauvre, fourmille d’Histoire et d’idées. Prise de repères synchrone avec la prise de plateau. Pas de temps d’observation. Tout s’impose d’emblée pour se mettre à l’ouvrage sur la pente douce du Grand Théâtre. Zutique et l’Opéra de Dijon sont sur le coup. Nicole Mitchell, elle, est toute à sa joie enfantine, Mike Reed au groove imperturbable, façon pokerface sur peaux tendues. Pas mal pour un batteur. À leurs côtés, c’est Tomeka Reid. Maestria en avant pour la violoncelliste, archet tout en tensions. À point nommé dans un lieu où le shérif DT oublie joliment de rimer avec RP. Disons aussi, que le GT est surtout le lieu parfait pour ce set, pour que la friction aille bon teint. Friction des timelines, friction des genres, friction des codes entre les deux publics rassemblés.

Ça frotte donc, Artifacts. En même temps, le nom du trio porte cette idée. Ça frotte avec fougue et autorité : saillies calées dans le vent venus des Grands Lacs. Artifacts vient de l’écume chicagoanne, version AACM (Association for the Advancement of Creative Musicians), soit un combo en version têtes chercheuses de la Great Black Music. Et sur cette écume, Nicole Mitchell, initiatrice du trio, délaisse ses explorations afro-futuristes pour appuyer et propulser, avec une finesse désarmante, l’héritage créatif de la Windy City. Tout passe sans heurt sous les fourches du trio : Groove impénitent, attaques contempopo-granulaires, bruistisme en dynamique perturbant. C’est pensé, joueur et tapageur. C’est loin de toute tentation documentaire sur la force d’invention d’une cité, mais résolument joué comme un déambulation réflexive, remué comme une danse sur l’âme fragile de cette ville. Structurée et ouverte à tous les vents.


Guillaume Malvoisin

Plot-twist : la flûte traversière dans le jazz, ça marche ! Le trio Artifacts rebat les cartes, avec force et originalité. Décor planté direct : on n’est plus à Dijon, mais à Chicago. Longue introduction pour nous mettre dans l’ambiance urbaine, pleine de structures, de bruits de sonnettes et de ville entendues dans pas mal de séries qu’on jugera bien américaines. Face au tumulte, les trois musiciens sont entrés en télépathie sur scène, en écoute constante, se retrouvant toujours sur un tempo parfaitement calé, aux sonorités bernsteinesques. Tout pourrait sembler décousu, chaque instrument explore ses limites sonores et techniques, mais tout converge finalement. Leurs compositions sont des casse-têtes stimulants, entre le violoncelle travesti en contrebasse de Tomeka Reid et la batterie soignée de Mike Reed, la syncope est au rendez-vous. Aux morceaux lents et calculés succèdent des improvisations de haute voltige, ciselées notamment par la flûtiste Nicole Mitchell qui finit le concert au picolo. Comme souvent, dans ce répertoire, on ne comprend pas tout ce qu’il se passe sur scène, la musique crée des illusions. Attendant chaque accord et rythme bien léché, cramponné à son siège, on se laisse piéger par le jeu naturel du trio. Une chose est certaine, ces monstres de technique créent devant nous un set qui nous dépasse.


Carole Bessac

The Bridge #2.9

The Bridge 2.9

Comme une poésie, noire et blanche. Une création sensible transatlantique dans tout son ensemble. C’est le propre habituel du projet The Bridge qui se joue toujours dans l’instant. Quant à nous, on est toujours là, à jouer à la roulette russe… Mais ça, c’est notre bon plaisir. Ce plaisir de voir The Bridge embrasser le jazz, l’incarner, phénoménologique. Alors, la #2.9 ? Une notion du bruit, un bruit travaillé – si on suit le Jacques Attali relativiste et son Bruits (1977), c’est ainsi que l’on entre dans la musique. Il anticipait peut-être ce spoken world du bruit, avec cette tessiture d’Ugochi Nwaogwugwu qui s’acoquine avec Sakina Abdou et Julien Pontvianne aux soufflants. 2 vents + 2 percus = 4 percussions. Chercher l’infra, c’est déjà une première manière de voguer entre ces deux natures sonores… Si la voix se joue aussi de cette passation, c’est par reflet avec la cigar box de Coco Elysses et son wah-wah communicatif, c’est par ricochet avec les frappes de Julien Chamla. Même logiques dans le triptyque transatlantique FR-NGA-USA… Ici ou ailleurs, il y a toujours l’unicité du souffle et du geste.


Lucas Le texier

The Bridge #2.9

photos : wall°ich © ADAGP