Compte rendu de la livraison 2021/2022 du projet d’échanges transatlantiques franco-américains The Bridge au Moulin à Jazz de l’association Charlie Jazz (Vitrolles, 13), 22 janvier 2022.
Etienne Zemniak (Gérard Tissier)
Le combo présent en France cet hiver n’a même pas pris la peine de s’affubler d’un nom si ce n’est « Oysters for the Masters », peut-être après quelque dégustation conchylicole en Bretagne, peu avant la prestation provençale. D’ailleurs ce gimmick devait ressortir, samplé, pendant le set de ces fous furieux. Enfin, de doux dingues qui sont d’abord des musiciens d’exception : la maîtrise de leurs instruments est absolument faramineuse. Ainsi, le batteur Etienne Ziemniak a une capacité à faire entendre la moindre nuance des peaux et cymbales de son instrument, dont chaque note (puisqu’il atteint une dimension orchestrale) est au service du quartet. Il est confondant de naturel. On sent bien sûr la complicité qui l’unit au saxophoniste bidouilleur de sons Quentin Biardeau, dont le son ample et chaleureux, limite « honker » pré-coltranien, donne des contours archaïques à cet ensemble aux velléités électroniques.Quentin Biardeau (Gérard Tissier)
Rappelons que ces improvisateurs du Val-de- Loire évoluent au sein de collectifs expérimentateurs au-delà des langages usuels de l’improvisation jazzistique, comme le Tricollectif d’Orléans. Mais ce soir-là, ils oublient jusqu’à leurs identités de férus d’impro européens pour se fondre dans un arc musical à cheval sur l’Atlantique.
Leurs partenaires chicagoans leur rendent bien leur féroce appétit de rencontres impromptues, avec un bon gros sens du partage comme autour d’une bonne bouffe entre cousins musicaux. Est-ce le son de l’orgue Hammond, avec ce « pop » délicieusement percussif et ces ondes circulaires, qui confère à l’ensemble ces saveurs soul qui ne sont pas sans rappeler le funk psychédélique des débuts d’Earth Wind & Fire pour la B.O. du film « Sweet Sweetback’s Badass Song » de Melvin Van Peebles, ou les recherches sonores de Isaac Hayes période « Hot Buttered Soul » ? Toujours est-il que son titulaire, Justin Dillard, se plaît et nous régale à triturer son clavier pour en faire sortir une sorte de substantifique moelle aux parfums gospel et méphitiques, simultanément.Justin Dillard (Gérard Tissier)
Bien sûr, il adore bidouiller le boîtier de commande de son synthétiseur, mais il semble préférer l’électronique primitive de son orgue. On croirait qu’il le maltraite, le tenant verticalement, le faisant passer sur ses épaules, quand il ne le tient pas comme un… accordéon – un pied de nez aux frenchies ? On se dit qu’il doit aussi jouer… du fer à souder ! En fait, il le berce avec un sens du groove qui émane aussi de ses compères, proposant un centre tonal imparable sur quelque six temps, aux accents méchamment punk. Et quand la trompette émerge du chaos ambiant, qui a tout d’une construction mouvante et éphémère en perpétuel mouvement, les murs de l’édifice peuvent bien trembler sur leur base : c’est pour la cause ! Certes, Corey Wilkes reste discret avec le boîtier de commande de son synthé , quand il ne triture pas quelque kalimba connecté à ce dernier dans un maelström afro-futuriste, mais quand il souffle dans son instrument, la fluidité de son timbre a quelque chose d’éternellement bluesy.Corey Wilkes (Gérard Tissier)
Qu’on ne dise pas que ce n’est pas du jazz : la livraison hexagonale de cette neuvième saison de The Bridge se termine, sur la scène vitrollaise, par un méchant swing au taquet. Ils peuvent toujours « pontifier » au nom de l’impro la plus insaisissable, ces fous du son, ils ont bien quelque chose en eux des pulsations fondamentales des notes bleues.