Vent Fort [TB#7, voyage retour] | Novembre 2016, Chicago

Avis de vent fort. Comme toutes les associations de musiciens proposées par le réseau d’échanges transatlantiques The Bridge, cette formation est une histoire de mise en commun et de forces en présence, suscitée par le désir et quelques croisements. Ainsi, Frédéric BBriet et Guillaume Orti se sont beaucoup fréquentés à l’époque du collectif parisien Hask, dans les années 90. Avec son ensemble polyvalent Nimbus, le contrebassiste n’a pas oublié d’inviter le saxophoniste, mais aussi le flûtiste Magic Malik (qui, de son côté, a collaboré avec Orti, au sein d’Octurn notamment). Briet, au cours d’un voyage aux États-Unis, en 2012, a rencontré Tyshawn Sorey à New York et Jeb Bishop à Chicago, avec lequel il a ensuite collaboré au sein de Bonadventure Pencroff. Sorey, qui connaissait Malik pour avoir gravité comme lui dans le système solaire stevecolemanien, partage avec Bishop et avec Khari B. ce dénominateur : George Lewis, tromboniste, improvisateur, compositeur, concepteur de programmes informatiques musicaux et musicologue à la Columbia University, avec lequel tous trois ont joué ou étudié. Et Khari B., fils du saxophoniste et clarinettiste Mwata Bowden, a récemment été “chairman” de l’AACM à Chicago, l’organisation de musiciens créateurs qui a fêté ses 50 ans en 2015 et sur laquelle Lewis a écrit un livre… Ce qui a fait dire à Briet : « Les trajectoires de chaque musicien composant l’orchestre sont comme les rayons de lumière convergeant vers le point de focus de la lentille d’une loupe. Nous avons traversé la lentille lors de la première tournée, pendant l’hiver 2014 en France, pour découvrir en la parcourant une dimension sublimée, autre, d’un monde qui nous est déjà familier. Nous sommes à la fois d’un côté et de l’autre du miroir, observateurs et observés. » Tandis que Tyshawn Sorey prête à la musique le pouvoir « de questionner QUI nous sommes, et POURQUOI nous sommes – questionner la nature même de nos perceptions et ce qu’elles signifient. La musique EST, simplement. Elle ne veut rien, n’a besoin de rien. Elle opère dans cette région liminale qui sépare le “même” du “différent ». L’auditeur pleinement conscient doit s’abandonner aux sons, nettoyer le miroir qui réfléchit le soi, écarter le soi. »
 
Avis de vent fort. Il ne s’agit pourtant que de la plus réelle et de la plus complexe des équations : les courants et contre-courants aériens d’un concours d’individualités, avec leurs personnalités propres sur chaque instrument, leurs manières spécifiques de les faire sonner, avec leurs références et leurs expériences (ici, parmi les premières, Charles Mingus et Arnold Schönberg, Morton Feldman et Wayne Shorter, l’AACM, le rock et le rap, les musiques de l’Inde et de l’Asie du Sud-Est ; parmi les secondes, Benoît Delbecq et Vijay Iyer, Anthony Braxton et Roscoe Mitchell, Peter Brötzmann et Ken Vandermark…). Un concours d’individualités avec leurs histoires de vie et toutes leurs ramifications, leurs contradictions, leurs imaginations. Car la musique collectivement improvisée est peut-être celle qui coïncide le plus étroitement avec le moment de la rencontre, qui fait tout un monde de ce moment (quitte à vouloir le faire durer), rencontre entre les musiciens, avec le monde environnant, rencontre traversée de mondes parallèles. À quoi s’attendre alors ? À un orchestre modulaire capable de jouer d’abondance, à l’infini, comme de méditer les leçons de l’infinitésimal (selon, par exemple, que Tyshawn Sorey joue de la batterie ou du trombone, transformant un sextette avec rythmique incorporée et spoken word artist en la personne de Khari B., dans la lignée de Langston Hugues ou d’Amiri Baraka, en formation à voix, vents et cordes, de chambre presque), travaillant les centres de gravité et les forces d’attraction, les champs magnétiques, à la recherche en musique de multiples perspectives, d’un sens qui soit de l’orientation, de l’exploration et de la construction.